DÉCOMPTE

23.8.15

1120. Finale

Je vais faire ça court, promis.

Je m'étais donné 1200 articles pour aller au fond des choses.

Au début, 1200 textes courts, perdus sur un domaine caché, pour me rappeler que je suis un monstre, et ensuite en finir.

C'est pourtant vrai, et plusieurs années plus tard, je n'ai rien osé relire, ou si peu. Un monstre se complaisant dans le dégueulasse, le goût de sa propre morve, les images pornographiques dégradantes.

Un monstre qui se blottit dans le sombre, qui cède la place aux autres, plus beaux, plus prometteurs. Un monstre de honte et de solitude.

Au plus profond de moi, cette voix existe encore. Elle me répète que j'ai pris le mauvais chemin, que quelque part un ectoplasme de ma propre existence s'émerveille encore et échappe au cynisme.

En vieillissant, on perd progressivement son idéalisme, son amour-propre et sa créativité. J'ai l'impression que ces trois concepts sont étroitement reliés, qu'ils disparaissent en fondu.

Il me pèse d'écrire ces mots. Le bruit agressif des touches qui s'enfoncent et se redressent m'épuise. Celui de la barre d'espacement, plus strident, me vrille les tempes.

Je m'excuse de ne pas être cet écrivain génial, qui aurait pu écrire les 1200 textes de cette prometteuse chronique. Je m'excuse, cher ectoplasme, de t'avoir encore cédé l'avance.

Je vais viser ailleurs, avec l'aide de mes proches, si je veux enfin m'y mettre et m'épancher un peu dans l'écriture, le dessin. La tour d'ivoire d'un journal pour soi est trop mince, prétentieuse et lointaine.

***

Valérie est partie, j'en ai fait mon deuil en 2013. J'ai même eu l'occasion de fermer les livres avec elle, ce qui est une chance rare dans l'état où j'étais. Elle m'a accueilli chez elle pendant le temps des fêtes, nous sommes sortis prendre un verre. Ses cheveux me semblaient plus filasses, sa relation avec sa famille tendue, ses gestes pressants. J'ai perçu chez elle le déphasage que je m'impose, me projetant dans un étrange cocktail de sentiments mêlés.

Incertain, j'ai pris ma voiture et j'ai laissé Dolbeau, Valérie et tous les étranges textes de ce recueil derrière. C'était fait.

J'avais rencontré Catherine, qui m'a prodigué un amour franc et direct, m'apprenant que mon cœur n'est pas condamné à se déchiqueter dans des paragraphes haineux.

J'ai ensuite pris la décision d'écrire les articles de la série TDG (Tous des Gamers), en compagnie de quelques collègues, essayant d'être anodin et d'y piqueter quelques miettes de jeunesse.

Ma "question de la semaine" a été bien reçue, des proches et mêmes de parfaits étrangers ont apprécié les articles. J'ai décidé d'inclure ces billets de 2014 dans le décompte, après quoi celui-ci se transformera ailleurs. J'atteindrai peut-être les 1200 articles, mais ils se disperseront ailleurs, et tant pis pour la rigueur tant souhaitée de ce recueil. Finissons-en avec 1120, c'est un beau nombre.

À bientôt, donc, et ailleurs. Merci de m'avoir fait.

26.11.14

1121. TDG: À quel jeu vidéo jouent vos parents?

Cette anecdote débute en Pennsylvanie, au plus fort de l'été.

Figurez-vous un soleil infernal sur un champ de foires américain. Pas un souffle de vent, mais des chapiteaux semblant ondoyer sous la cuisante température.

À des kilomètres à la ronde, des pièces de voiture. Des centaines de milliers de vieux morceaux de métal et de fonte, soigneusement disposés sur des bâches déclinées autour de tentes, dans lesquelles sue un vendeur à casquette au ventre rougi.

Mon père chemine entre celles-ci, silencieux. Tête nue, invincible à la chaleur, il cherche son carburateur manquant.

Je réalise que ce voyage au Carlisle Motor Show se traduit par un Compostelle de la virilité. Partout autour de nous, la langue vernaculaire des capots de voitures s'échange entre vendeurs et acheteurs, interrompue par le vrombissement d'un muscle car superbement restauré. En trame de fond, de la musique country et l'annonce de la prochaine Daisy Duke à parader.

Nous quittons le site complètement frits avec une tonne de vieux métaux, trouvailles qui éventuellement iront se greffer aux projets de restauration de ma famille paternelle.

Avant de regagner l'hôtel, nous célébrons la chasse aux pièces dans un pub typiquement américain, autour d'une bière locale et d'un hamburger à la taille peu raisonnable.

Je me prépare à me coucher, planant encore quelque part dans un road movie des années 70. De la chambre de mon père, une musique enfantine vient par contre briser le moment.

Sur son téléphone mobile, celui-ci, figure de proue à cette journée hommasse et technophobe, est complètement absorbé par le monde rose et sucré de "Candy Crush Saga".

Je ne cherche pas dans cet article à faire la ségrégation de jeunes et vieux gamers. Je suis simplement curieux de savoir quelles franchises de jeux vidéo sont parvenues à amener des baby-boomers qui naguère haussaient les épaules devant Super Mario à se laisser convaincre. J'arrive même à me figurer un LAN Party de personnes âgées avec un peu d'effort.

À quels jeux vidéo jouent vos parents?

21.11.14

1122. TDG: Quelle est la pire communauté de gamers?

La porte s'ouvre dans un son tout particulier, hybride parfait entre la succion et le grincement. Je dépose mes quelques boissons et mon sac de croustilles sur le tapis d'entrée.

- Heille man! Comment ça va?

Pas de réponse. L'appartement est plongé dans le noir. Une très faible lueur verte découpe l'ouverture de la cuisine, au fond du couloir. J'entends des cliquetis.

J'accroche ma veste et je récupère mes vivres, pour ensuite me diriger vers l'apparente source de vie.

Le voilà. Prostré devant l'écran, enchevêtré de fils et d'appareils installés à la hâte sur la table, ses deux yeux vitreux clignotent rarement.

- Salut mon chum! J'ai des chips. Pis, comment ça se passe?

Il retire son casque et branche le son sur les hauts parleurs.

- Heille salut man, grosse game de Dota 2 en cours, désolé...

Le son du jeu enveloppe la pièce. Malgré d'énormes efforts, je n'ai jamais rien compris à Dota 2, acronyme de "Defense of the Ancients" mis en marché par le studio Valve en 2013. Il s'agit très grossièrement de travailler en équipe pour détruire le campement de l'équipe adverse. En dépit des excellents articles Pierre-Olivier Corbin à ce sujet, rien n'y fait: je ne vois qu'une grande bagarre chaotique à l'écran.

Je m'installe sur une chaise, le menton sur une paume. Il est plongé dans l'action.

- Ah man, les gars de mon équipe sont vraiment poches.

Ceux-semblent penser la même chose du joueur québécois en leur compagnie. À travers les hauts parleurs, un flot ininterrompu d'injures grêle dans la pièce, proférées sur le microphone des coéquipiers en ligne. Je vous évite le registre de langue, mais disons simplement que la plupart concernaient la mère de mon stoïque compagnon. J'entends même des invectives espagnoles.

Les insultes rythment la progression de la partie, explorant le racisme, l'homophobie et la virginité. Dépassé par les événements, je termine les croustilles après trente minutes de jeu. Le jeu devient de plus en plus intense, de nombreux personnages meurent et des bâtiments explosent. À l'occasion, mon hôte met en marche son microphone et jette un ordre ou une bien méchante réplique. Le chaos est total.

J'ose un commentaire.

- Crime, ça va mal.

Au même moment, un énorme bâtiment explose.

Mon ami soupire, puis tourne les yeux vers moi.

- Ben non, on a gagné! Tu viens de voir une de mes meilleures parties!

Les interactions entre les joueurs en ligne échappent à l'évaluation de l'ESRB et souvent à la censure, malgré les nombreux efforts des développeurs. Si vous jouez en ligne, connaissez-vous une communauté de joueurs particulièrement corrosive, à l'image de mon expérience? Quelle est la pire communauté de gamers, ou sinon, quelle est la meilleure?

13.11.14

1123. TDG: Qu'est-ce qui vous indique que vous avez trop joué?

Chaque mardi, j'entreprends d'écrire ce billet en soirée, dans la quiétude de ma chambre.

L'ennui, c'est que le billet en question est écrit sur mon ordinateur, qui possède plusieurs icônes très attirantes ces jours-ci.

Ainsi, plutôt que d'aller de l'avant et de vous suggérer de répondre à l'habituelle question de la semaine, j'ai plutôt décidé de passer une demi-heure dans un Nephalem Rift de Diablo 3, "juste avant de souper". Je prends donc le contrôle d'un personnage armé jusqu'aux dents et j'entreprends de soulager un donjon infesté de monstres: la simplicité même.

Trop vite terminée, j'entreprends de répéter la séance. Les Nephalem Rifts s’enchaînèrent, justifiés à l'occasion par ce précieux objet légendaire qui daigne poindre par un coffre oublié ou un cadavre. La demi-heure est devenue heure, puis soirée, puis nuit.

Échevelé, affamé, les yeux couleur démon-sanguinolent, je me suis dressé maladroitement vers la cuisine pour cuisiner d'infâmes nouilles ramen. Je suis ensuite tombé dans mon lit, complètement désarticulé. Si j'avais pu, j'aurais joué encore.

J'ignore si vous partagez à l'occasion cet "état" bien curieux. Je sais que d'ordinaire j'encense le jeu vidéo avec l'équipe de Tous des Gamers, mais j'ai besoin de votre aide pour me discipliner. Ma mère est trop loin pour me rappeler à l'ordre, je crains d'ailleurs que cette lecture ne la décourage.

Combien de temps pouvez vous passer devant un jeu sans le voir passer? Quel signe distinctif vous indique que vous devez sauvegarder et quitter le jeu?

5.11.14

1124. TDG: Quel jeu vidéo rétro mérite une version remastérisée?

Environ chaque semaine, Nicolas et moi allons casser la croûte dans une aire de restauration à proximité du bureau.

Après le repas, la cérémonie de la boutique de jeux vidéo est toujours au programme. Souvent accompagnés d'autres collègues, nous franchissons respectueusement le portail et nous effectuons un itinéraire complet entre les allées, en marmonnant des refus aux commis qui voudraient bien nous vendre quelque chose.

À l'occasion, quelqu'un achète d'ailleurs un jeu, mais essentiellement cette cérémonie est contemplative. Chaque rituel comprend la question évangélique de Nicolas.

- Pis, tu te l'achètes-tu ton PS4?

Je réponds toujours la même rengaine.

- Boah, je sais pas, on dirait qu'il n'y a pas encore de bons jeux.

À ce moment-ci, Nicolas hausse les épaules et nous quittons le sanctuaire, sous le regard blasé des vendeurs.

Ce soir par contre, je réalise que le jeu qui me fera acheter la prochaine génération de console n'est même pas sur les tablettes des boutiques: il se fait attendre dans le Playstation Store, en ligne.

Il s'agit de la version remastérisée de Grim Fandango, jeu d'aventure prenant place dans un royaume des morts complètement bariolé.



L'annonce de cette version au goût du jour avait fait une onde de choc à l'E3, particulièrement avec la tournure humoristique employée par Tim Schafer, concepteur du jeu

En ce qui me concerne, les heures passées devant les énigmes de Grim Fandango remontent à des lustres, mais caractérisent encore l'essence même du jeu porteur d'imaginaire. L'intrigue et la portée de cette fable à l'humour noir me pourchasse encore aujourd'hui, mais la version d'époque installée sur un système récent s'accompagne de frustrants bogues d'incompatibilité. J'attends donc impatiemment une date de tombée pour la version numérique du jeu, potentiellement sur console.

Il s'agira sans doute pour moi d'une bonne raison de rendre mon PS3 obsolescent, mais je réalise ce soir qu'une version PC sera éventuellement offerte, le titre n'étant pas tout à fait exclusif. Tant pis pour Nicolas, je vais continuer de le faire languir lors de nos visites à la boutique de jeux.

Si vous vous mettiez à ma place, y aurait-il un jeu vidéo rétro candidat pour une adaptation au goût du jour? Quel jeu vidéo mériterait un relooking, qu'il soit déjà existant, prévu ou simplement espéré?

22.10.14

1125. TDG: Quel jeu vidéo a la meilleure longévité?

Si le disque dur de mon ordinateur était une ville, on y verrait assurément quelques gratte-ciel sévères renfermant du traitement de texte, des tableurs et des ateliers d'imagerie.

Tout en bas, une poignée de bars clinquants s'illumineraient le soir, promettant de l'action, des rencontres, des couleurs vives et une décharge d'adrénaline.

Après une longue journée de travail, on verrait ma petite silhouette passer son chemin devant ces boîtes de nuit bariolées. Je quitterais l'espace habité pour emprunter un sentier calleux entre les arbres.

Après une longue marche, j'attendrais le monde confortablement rétrograde de Heroes of Might and Magic 3.

Quelque part au delà des plus coquets rendus 3D et des exaltations du divertissement en ligne, ce jeu de stratégie tour par tour résiste encore et toujours à l'envahisseur. Originalement développé par 3DO en 1999, je n'ai pas encore trouvé de rival à Heroes 3, pas même ses propres successeurs.

Comprenez-moi bien: avec un système à jour, Heroes 3 fonctionne encore, avec une rapidité d'ailleurs fort agréable. L'aspect visuel du jeu rend hommage à l'âge d'or des "sprites", séquences animées regroupées en animations distinctes pour les personnages du jeu, ceux-ci rassemblant une kyrielle de figures mythologiques.

On y construit une ville grandiose, on y découvre une carte aux détails infinitésimaux, on y contrôle un ou plusieurs personnages à améliorer avec une énorme palette de choix. L'objectif? Détruire l'adversaire, qu'il soit animé d'intelligence artificielle ou un concurrent en chair et en os.

Il y a maintenant 15 ans que je possède Heroes of Might and Magic 3. Bien que je puisse rassembler une pesante collection de jeux récents, je suis prêt à tous les sacrifier pour me vautrer encore dans celui-ci, si démodé paraisse-t-il. D'ailleurs, j'accepte tous les défis pour une partie multi-joueur, faites-moi savoir si je suis vraiment marginal dans mon monde reculé.

Sur ce billet honorifique, connaissez-vous un concurrent valable? Quel jeu vidéo possède la plus grande longévité?

15.10.14

1126. TDG: Quel jeu vidéo est le plus compliqué?

Au retour d'une bienfaisante promenade d'automne, ma copine et moi retrouvons le calme de son appartement douillet. L'air frais nous suggère de fermer les fenêtres et de se blottir devant une série télé, scénario idéal pour terminer l'action de Grâce. Scénario idéal? C'est sans compter sur une malédiction qui s'abat sur moi depuis le rougissement des feuilles.

Cette malédiction, je croyais l'avoir vaincue l'an passé après une période d'oubli salvatrice. Mais ces temps-ci, elle se présente à moi sous la forme d'un méchant polichinelle nommé "Husky".

À l'intérieur de ma tête pas toujours très logique, je m'aventure donc dans une activité beaucoup plus hasardeuse qu'une série télé.

"Veux-tu regarder un replay de Starcraft 2 avec moi?"

Messieurs, n'ayez jamais cette idée, même si votre bien-aimée accepte avec les meilleures intentions du monde. Il y a d'après moi un sérieux problème de compatibilité entre la gent féminine et les célèbres joutes du jeu de stratégie diffusées par le commentateur Husky.

Je m'exécute, donc, légèrement surexcité et inconscient.

- Tu vas voir, c'est très facile à comprendre. Il y a deux joueurs qui construisent une petite ville, le but étant d'aller détruire la petite ville de l'autre. De toute façon, un monsieur explique tout ce qui se passe, il fait même des blagues.

- D'accord!

Elle me sourit. Le vidéo débute, mais j'arrête immédiatement la lecture dès la première image et je pointe quelques personnages avec ma souris.

- Bon, les bonshommes ici, ce sont des travailleurs. Ils récoltent les minéraux pour construire les bâtiments. Ils peuvent aussi se défendre mais ils ne sont pas très forts.

Le vidéo se remet à jouer.

- Pourquoi celui-là, il s'en va? Il est fatigué?

- Non, celui-là, c'est un "scout", il va aller faire de la reconnaissance dans la ville ennemie pour découvrir la stratégie de l'autre joueur.

- C'est quoi cette maison là? Pourquoi elle est faite en vers de terre?

- Elle permet de créer des "Banelings", des petits bonshommes qui explosent et qui emportent beaucoup d'ennemis avec eux.

- Et hum, pourquoi le bonhomme de tantôt tourne en rond?

- Il est en mode "Patrol" pour éviter que l'autre joueur ne prenne son "Expand".

- ...C'est quoi, ça?

Je commence à réaliser que le lexique de Starcraft 2 est curieusement alambiqué et résolument bien vissé dans ma caboche. Le transmettre à une personne complètement profane, homme ou femme, est tout un mandat.

Dans le cas présent, la bouche de travers, ma profane fait des efforts titanesque pour comprendre ce qui arrive, mais même mes explications se font incompréhensibles. Je passe de "drop" à "warped in" à "supply blocked" alors que le match gagne en intensité.

Il s'achève enfin sur un culminant "GG" qui n'aura tiré qu'un sourcil à ma spectatrice.

Je concède.

- Bon, si tu veux, on peut regarder un tutoriel de maquillage.

Elle exulte, alors que de bonne foi je raye "Starcraft 2" de mes activités amoureuses.

Cette fin de soirée m'aura appris une bonne leçon, mais d'après vous y aurait-il des jeux pires que Starcraft 2 pour un scénario semblable? Quel univers possède la courbe d'apprentissage la plus ardue, ou est tout simplement impossible à expliquer au spectateur?