La voiture s'arrête devant la façade éclairée. Je coupe le contact.
Elle est emballée et me prend la main. "J'ai tellement hâte de te présenter tout le monde!"
Le soir hâtif de janvier est tombé depuis longtemps. Mes pas crissent tranquillement dans la neige, le portail se rapproche.
Ce sera donc ma première soirée dans la belle famille. J'aimerais beaucoup savoir à quoi m'attendre, j'appréhende une évaluation en règle et je serre les dents. Notre relation opère depuis quelques semaines et je suis encore un total inconnu pour eux, je leur parais sans doute comme un misanthrope déviant ayant ravi leur précieuse représentante féminine.
Devant mon air tendu, ma copine rappelle que sa mère a une envie folle de me rencontrer. J'apprécie l'attention. Je sais par contre que deux frères et un père m'attendent.
Dépité, je me prépare à un procès patriarcal en règle, deux procureurs hargneux tournoyant autour du ténébreux chef de famille. La mienne comprend trois filles et un faible passé en sports d'équipe: si la conversation devient virile j'ai peu d'atouts.
La porte s'ouvre dans une grande clameur joyeuse.
"Bienvenue! Oh que je suis contente de te voir enfin!"
Tout le monde sourit. L'accueil chaleureux m'inonde d'endorphines, comme après un plongeon de quinze mètres. Une petite voix intérieure m'indique qu'une fondue chinoise m'attend, ce qui signifie conversations fournies.
La mère de ma copine travaille dans un centre de formation agricole. J'aurai en outre devant moi un mécanicien, un déménageur-bûcheron et le directeur d'un centre de rénovation. Avec mon profil en arts et mon physique de spaghetti de piscine, je n'en menais pas large.
Par contre, j'ai réalisé ce soir là que je possédais une arme très précieuse. Celle d'avoir beaucoup trop joué à Call of Duty.
Le souper débute et ma copine amorce la conversation. Les sujets sont concernent surtout la période des fêtes et les vacances. À un moment donné, on évoque la franchise mondialement connue d'Activision. Je me souviens d'avoir retenu mon souffle et d'avoir lancé cette phrase au plus jeune frère de ma copine: "Ah ouin, tu as Call of Duty? As-tu prestigé?"
"Prestiger", c'est éliminer suffisamment de joueurs adverses en ligne pour débloquer toutes les variantes d'armement disponibles. Le joueur a alors de choix de continuer avec son arsenal ou de recommencer avec un cran de "prestige", la manœuvre pouvant se répéter. Ces niveaux qualifiant les joueurs expérimentés permettent de faire de l'épate: on peut vite devenir intimidant avec de nombreux crans successifs et une cracheuse automatique avec lunette de tir.
Son sourire apparaît. Il avait effectivement "prestigé". Mes tensions m'ont quitté, le monde interlope du gaming avait réuni deux représentants autour de minces lanières de bœuf. Le sujet en a amené un autre, puis un autre, puis j'ai porté un toast et la soirée était réussie. Ma copine était ravie, je faisais des blagues et me sentais à ma place. Je n'ai jamais vécu de gêne en leur présence par la suite.
Certains pourraient dire bien du mal de Call of Duty. C'est un jeu à plus forte raison répétitif d'une itération à l'autre, résolument violent et garni d'une communauté de joueurs souvent haineux.
Mais ce fleuron du tir à la première personne m'a ironiquement permis de jeter les bases d'une relation amoureuse stable. Bon gré mal gré, c'est mon jeu de tir à la première personne préféré.
En passant, je n'ai jamais prestigé. Je suis plutôt mauvais en fait, je ne fais que des "Special Ops", une variante qui n'implique pas de concurrence. Mais bon, hein, ne le dites pas.
Quel est d'après vous le meilleur First Person Shooter?
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire