11.9.11

1155. Sur La Tolérance

Mon réveil sonne à 7h35.

Dans les faits, j'ouvre les yeux chaque jour à 7h25: j'ai retardé l'horloge de dix minutes pour me simuler un miasme d'empressement. C'est d'ailleurs étrange, le conditionnement opérant de cet auto-dressage n'a jamais entraîné d'accoutumance.

Je passe d'habitude les trente prochaines minutes au lit dans un combat désagréable contre l'horloge. Elle gagne toujours.

Mon premier réflexe d'être vivant est de saisir mon téléphone portable et consulter mes courriels. J'en ai toujours un ou deux qui apparaissent pendant la nuit, la plupart étant des publicités insipides. Tout de même, j'isole ainsi mon plus grand besoin: savoir si on s'est intéressé à moi au cours des quelques heures passées dans l'inconscience.

Lors des grands jours, je prends ensuite quelques minutes pour ramasser quelques victuailles pour la journée, au mieux un sandwich. Ceci dit, la plupart du temps je me contente d'uriner, de m'habiller, de me brosser les dents et de gagner au plus vite l'arrêt d'autobus (8 minutes).

S'en suit une attente nerveuse où le genre humain m'énerve, tant à l'abri que dans le bus bondé. Le matin, je prends toujours une bonne demi-heure avant d'admettre que je vis en société.

D'ordinaire j'arrive au travail pile à l'heure; il m'est plutôt inconcevable de m'y pointer plus tôt. J'échange à cet instant ma première parole de la journée, souvent une politesse marmonnée à un collègue qui m'ouvre la porte.

Je choisis ces temps-ci l'ascenseur pour aller au cinquième; mais je préfère en général l'escalier.

Après quatre portails sécurisés, j'arrive dans mon espace de travail: une pièce de deux mètres carrés séparée grossièrement par des murs en tapis garnis d'une porte). Avant de m'asseoir pour débuter la journée, j'échange un mot avec ceux qui, dans les faits, représentent mon équivalent professionnel.

Vous savez, il est possible d'admettre qu'on partage son existence avec des êtres médiocres. Dans la mesure où ceux-ci sont issus d'un même groupe d'âge, d'un même milieu ou partagent quelques valeurs, on pourrait même se lier d'amitié et développer une relation riche avec des incapables, des corrompus ou des faibles.

On peut également s'y conforter: une joyeuse bande usurière peut permettre à l'esprit le plus aiguisé une camaraderie sans égal.

Mais arrêtons de tourner autour du pot: il existe plus souvent qu'autrement des crétins alpins parmi les testeurs de jeux vidéos de la planète.

Celui qui pourrit mes jours à quelques centimètres de moi dans cette pièce exiguë en est le souverain consacré. Partagé exhaustivement entre volubilité exécrable et mutisme boudeur, il prend tout l'espace possible dans notre réduit malgré l'infinitésimale petitesse de son existence.

Huit interminables heures passent au cours desquelles il émet tous les sophismes possibles possibles en lisant à voix haute l'actualité sur un site racoleur. Huit détestables tranches de soixante minutes où il fait jouer à tue-tête du gold rock minable ou raconte ses exploits de Paintball, une activité ayant enrichi dix ans de sa misérable vie. 22 800 secondes qui passent toutes comme une guillotine sur le filin mince du savoir-vivre.

En sortant de cette journée qui, de toute façon, a pour trame de fond la violence puérile des jeux vidéos, je suis désarmé, découragé par ma condition. Ce ridicule sbire qui déambule en casquette d'armée n'est qu'une instance trop commune dans l'armée d'idiots de mon travail. C'est par ailleurs le plus prolifique employé sur mon projet. Il n'a même pas terminé son CÉGEP.

Mon image déprimée à côté de ce déficient mental me livre le message clair d'en finir.

Pour aimer un travail, la prime n'a pas d'importance. Pour aimer un travail, il faut être prêt à vivre avec ceux qui sont capables de l'aimer.

C'en est fait de Beenox, je quitte en octobre.

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