Des heures, des heures, et des heures…à lire, à se renseigner, à redouter sa propre inculture.
Et devant l’écran, cette stagnation tenace, justifiée par l’impression de manque, de tout. On se sent unique dans la simple mesure où on cherche, où cette recherche déploie un vide, et alors, seulement alors, on sent l’air qui vrille nos tympans. Un son de toile froissée.
Le son de la chute.
Il ne faut pas oublier que j’ai du talent. Et de l’ambition. Il ne faut pas que je l’oublie.
Brève étape de conscience, bref temps de contemplation, avant de remettre ma tête entre mes épaules et serrer les dents pour appréhender le contact du ciment froid. J’ai du talent. Ce n’est pas par projection que je l’affirme, mais par preuve directe.
Je suis conscient d’effectuer un travail qui atteint un niveau de perfection enviable, et je n’ai que sincères félicitations à me faire.
Je suis une personne exceptionnelle, intéressante, charmante. Je suis une plus value dans un groupe.
Il m’arrive de penser que la foule est un composé dont je suis le réactif.
Il m’arrive de penser que le monde tourne autour de moi.
Je me sens fort, chaque jour, lorsque j’accomplis quelque chose d’unique.
Je sais que mon talent est apprécié et rend fier mes proches.
J’ai une importance capitale auprès de ceux que j’aime.
Mon sourire est beau et contagieux. On me dit sensible et empathique.
Depuis peu j’ai de très belles mains qui me rendent fier de ma personne.
J’ai le sens de l’humour, et je peux mettre un proche à l’aise.
Il m’arrive de croire en ces talents, d’une sensation étrange et très forte, qui me propulse de quelques parsecs par delà la chute.
Fichtre oui, on pousse aussi.
La solution? Le groupe. Il me faut un groupe, à moi aussi. Une terre fertile. Je veux un groupe. Des gens qui sauront apprécier toutes ces qualités, et à qui je pourrai rendre l’amitié, en sourires, en attentions et en loisirs. J’y cours.
Quelque part dans Québec, je me terre. Je coupe mes ponts en forçant très fort, je tente, comme Kafka, de me muer en blatte souterraine.
J’ai trop parlé d’amour et de prise de têtes sociales, par le passé. Cette période est un enfermement total et complet, où je passe des semaines sans parler à quiconque, sans faire part de mes états d’âme, sans alimenter le moindre feu.
Il est de ces choses comme l’espoir résiduel : un sentiment persistant de glorification, manifesté par sa propre promotion, ou même son sourire, son rire, une façade positive, quoi.
Voici mon histoire.
Grondements. Une pause. Des objets très bruyants vrombissent, dehors. Des camions, je crois. Des sirènes hachées signalent la manœuvre à reculons. Je crois que le verglas saisit tranquillement la ville.
Mon cœur bat plus fort. Il faut que je me souvienne, ma mémoire s’érode par gros blocs qui tombent dans l’eau, plouf! Comme dans histoire sans fin.
Au fait, je crois que toutes les histoires cachent un sens amoureux. C’est bien par amour qu’on veut être lu, de toute façon. On veut collaborer à l’autre par ce qu’il pourra retirer de nos lettres, de nos phrases. Ce n’est pas chose facile quand on vit en insecte.
Il faut que je réfléchisse.
Je ne saurais dire dans quelle direction je voudrais raconter. Prenons la plus simple.
J’ai eu mon premier amour en première année. J’avais alors cinq ou six ans, je ne me rappelle jamais. Évidemment, j’ai tout gardé pour moi, je ne crois pas lui avoir parlé, à elle, jamais. Une petite fille aux cheveux gaufrés, eh oui, que voulez-vous.
Parenthèse, je crois avoir retrouvé cette petite fille sur le Réseau. Elle a vieilli en longueurs, trop peut-être à mon goûts, mais qu’importe, il y avait toujours ce petit quelque chose, dans les yeux, je crois.
Je ne sais pas si je vais recenser tous mes phantasmes ici. À tout le moins, je peux les recenser, car je les aime toutes encore. Je peux, à tout le moins, mettre en contexte la position de leur corps, de leurs yeux, leur expression faciale, même la parole précise qui provoqua cet instant de flottement, ce schisme qui les laissa entrer dans mon cœur.
Je doute que cet instant fût bien utile. Il n’en reste pas moins que ce sont leurs yeux qui percent, qui cisaillent et débitent la pierre dure cornant mon sac cardiaque.
Pour les statistiques, je leur donne un numéro dans l’ordre.
1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-12-13-14
Quatorze filles. En créant cette petite ribambelle de chiffres, je les ai toutes situées dans le temps et l’espace. Un petit martèlement désagréable vrille mes tempes.
En fait, je doute que l‘amour ne m’ait jamais apporté de bonnes choses. Jamais en fait, les conclusions que j’aie pu en tirer ne m’ont donné des résultats positifs. C’est sans doute pour cette raison que je m’enferme graduellement dans les murs ignifuges de mon réduit. C’est sans doute pour cette raison que je n’ai plus d’ambition, que je me répugne à faire carrière dans la ville pourtant si vivante, tressaillant de changements et d’expériences. L’amour m’a tellement déçu que je me résigne à l’expérience des autres. Je ne me plais qu’à partager des fuites, dans la lecture, les divertissements sur écran, les tribunes ludiques.
Dans le propre de la discussion, je réalise vite ma ficelle est courte. Alors que les autres font nœuds et boucles, tortillent le médium longtemps entre leurs doigts, je me retrouve avec un petit bout misérable qui ne donne envie à personne. Même mes réalisations, qui dans la solitude me paraissent si grandes et si belles, ne sont devant les autres que salmigondis perfectibles. L’écriture, le dessin, la science, le théâtre, autant de manifestes qui se dégradent devant eux, mais qui rayonnent parfois devant moi, au creux de cette petite braise qu’est l’espoir résiduel.
Et son oxygène, c’est l’amour. L’amour théorique, l’amour philosophique, l’amour qui témoigne de la compréhension totale et vitale, sans détour et sans faux-pas.
C’est drôle. Peut-être ne suis-je pas à même de le percevoir, justement. Il me semble que tous les compliments que je reçoive soient intentionnels, qu’ils prêtent à une cause malsaine. Il semble que tous mes sourires reçus soient forcés, tous les dialogues hâtifs, toutes les étreintes révulsées.
Peut-être que c’est le passage naturel vers la folie.
Peut-être est-ce vraiment ce qui émane de mon corps : une complainte repoussante, qui ne manifeste aucune possibilité.
Il y a longtemps que je voulais écrire, tout cela me fait du bien.
Deux yeux bouffis et bourrus.
Une belle neige récente cache plusieurs couches de saleté. On le voit bien, ce soir, avec la température douce. Le réchauffement, le confort, met à nu le côté immonde et mauvais de la neige, elle qu’on veut croquer par temps froid.
Au final, je confirme que l’amour ne m’a donné que des malheurs. Et pourtant, dans la mesure où je me démène à trouver un sens à tout ça, j’imagine qu’il y a là une forme de croissance, de rite. Mais j’aboutis toujours au constat de mise à pied.
Il n’y a rien à faire pour moi. De toute façon, et sans sombrer dans le fatalisme, je me bute toujours aux mêmes obstacles : je n’aime pas danser, cuisiner, patiner, faire de la musique, ou même écrire des textes où suinte le bonheur. Je ne sais pas rimer, écrire une promesse. Je n’écris que la confirmation des portes blindées. Et dans tous les registres possibles, avec plus ou moins de plaisir.
Alors bon, il me reste le talent de l’émulation, du faux, du forcé. Mais les relations qui ont débuté sur ce coursier n’ont jamais fourni cette mystérieuse routine amoureuse. C’est quoi, être en couple et souffrir d’une routine?
Je ne saurai jamais, peut-être. Tant pis ou tant mieux.
Il me serait agréable de parler de ces perceptions à quelqu’un d’autre qu’à moi-même. Il me serait agréable de me retrouver dans quelqu’un d’autre, qui ressent les mêmes choses, mais qui n’ait pas songé à les mettre par écrit, vitrine communicante, si teintée soit-elle. Je crois que parmi ces questions existentielles qui pourrissent l’être humain, « être compris » demeure l’objectif premier à atteindre. Qui peut me comprendre? Qui peut acquiescer, apprécier cette discorde singulière?
Elles me tiraillent, mes journées dans le faux soleil de mon souterrain.
J’attends quelqu’un pour affronter le vrai. Je suis indigne de lui, encore aujourd’hui. Je dormirai trop, je rêverai trop, et quand j’irai me faire assaillir, là-dehors, je rentrerai encore bredouille, car incapable d’y voir clair, dans toute cette clarté.
Laissez-moi donc à mes livres et à mes lettres, je crois que ça vaut mieux pour tout le monde. Vous n’aurez pas à vous inquiéter, j’en ai une bibliothèque pleine, et je peux me relire. Ma mémoire tombe par gros blocs dans l’eau. Plouf!
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