28.6.11

1157. Brown

"Tu vas voir, ils sont indépendants, ils ne t'accorderont pas d'attention"

J'achève mon parcours migratoire dans un logis en constante mouvance sur la rue Brown.

Voilà deux mois que je m'entasse avec trois autres points en suspension, qui, force m'est d'avouer, n'ont pas poussé à l'extrême le manège. En effet, je n'ai rien changé ici. J'ai fait valoir certaines de mes couleurs, généré quelques rires et débats, mais l'ambiance, l'odeur, l'esprit demeure.

Moi aussi, étonnamment. Je courais tant après l'attention naguère, me voici contenté d'une présence correctement inscrite dans l'esprit du lieu, satisfait de peu de remous et des occasionnelles dérisions.

Je réalise ainsi que dans mon cas, il me faut partir en créant des vagues. Il faut que mes départs marquent une étape creuse pour ceux qui m'entourent, or dans le cas présent je comprends pour une rare fois le principe du passage.

***

La Tuque est une ville surprenante.

À l'âge de huit ans environ, l'enthousiasme de ma mère envoie sur les chemins forestiers notre famille vers son terrain de camping infesté d'insectes piqueurs. Plus jeune, le camping me répugnait, j'étais un garçon empoussiéré d'intérieur, plutôt solitaire. J'ai traîné quelque peu les pieds en montant à l'arrière.

Pour l'occasion, nous avions harnaché derrière la voiture l'antique campeur beige de mon grand-père maternel, un sandwich métallique qui fleurissait en une structure exiguë, vaguement malodorante et orangée comptant quatre couchettes sommaires.

J'ignorais alors que le camping pouvait maquiller la sédentarité afin d'en retirer quelque noble allure. En voici mon expérience.

Je marchais dans les allées pierreuses du camping de La Tuque, sous une chaleur liquide, découvrant que certains motorisés étaient ancrés dans le sol, d'aucuns poussant l'audace jusqu'à déployer leurs propres plates-bandes en briquettes grises.

"Tiens-donc", me dis-je, chamboulé dans ma conception juvénile de réclusion naturaliste. "On peut aller dans la forêt et s'y faire une maison confortable, dans laquelle on peut jouer".

Peu après, en allant vers la plage, je fis la connaissance d'un garçon aux cheveux noirs qui se balançait. En me liant d'amitié avec lui, il me proposa d'investir le motorisé de ses parents pour la soirée.

Avec la permission de maman, me voilà devant la porte moustiquaire, accueilli par mon nouveau copain.

"Je suis tout seul, mais viens-t'en, je vais te montrer quelque chose."

Après le campeur déglingué des années cinquante flanqué de sa glacière Coleman, voilà mes yeux qui sautent d'une découverte à l'autre. Le véhicule d'une trentaine de pieds comprend un frigo fonctionnel, des toilettes, un robinet, des fauteuils moelleux, judicieusement disposés dans ce paradis domestique.

"Viens voir, j'ai mon Super Nintendo!"

Je me rappellerai toute ma vie que nous y avons joué à Breath of Fire 2. Le soleil offrait une magnifique journée par delà les petites fenêtres arrondies aux coins.

Ébaudi, délicieusement choqué dans ma conception d'être "loin de la maison", je suis sur le pas de la porte.

"Merci beaucoup en tout cas, j'espère qu'on va se revoir!"

J'avais vraiment passé du bon temps avec le petit garçon aux cheveux noirs. Il m'a ensuite dit une réplique qui me hante encore. Une courte phrase d'une maturité incroyable, toute simple mais charriant toute la largeur du monde.

"Moi aussi j'ai trouvé ça plaisant, mais faut pas que tu sois triste si je t'oublie."

***

Après avoir passé un moment spécial, magique, je crois qu'on ne peut s'empêcher d'en saisir le sillage et de le brandir, pour corroborer son existence. "Voyez, comme j'ai trompé l'ennui qu'est la vie! C'est la bonne méthode, qu'on se le dise!"

On en parle, on s'étend sur des kilomètres carrés de souvenirs, quand pourtant le principe tout simple du passage nous échappe. Je considère que Brown m'a affublé d'une pêche incroyable, que ses habitués ont, comme le petit garçon, prévenu les regrets, cependant je passe rapidement sur le hourvari obligé que je m'impose d'ordinaire.

À présent, j'aime bien camper.

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