19.12.10

1160. 2010

Le petit François aurait bien honte de ce que je déploie.

Je souhaitais une routine. On me l'a offert sur un plateau d'argent.

Je suis un misérable être humain, je perds souvent, je n'ai plus de mordant, d'ambition, d'envie.

Je ne parviens plus à intéresser, mon discours est fané, mon influence minuscule.

Je regrette de ne pas donner de suite à mes folies des grandeurs. Je regrette d'avoir été si performant, il y a longtemps, sur les bancs d'école. Je suis désolé du squelette inutile que je traîne de bas en haut chaque jour sur les pentes du Cap-Diamant.

Je nage dans l'échec. Perdre. Perdre. Perdre. Perdre. Perdre. Perdre.

J'étais le meilleur de l'école. Le plus créatif, aussi. J'étais inventif, autonome, rayonnant, avant.

J'étais compétitif, fier. J'étais le héros de ma petite soeur, je la faisais rire. Je la chérissais, l'avait toujours près de moi, j'étais toujours là pour elle. Elle m'illuminait, avec ses yeux, son sourire, ses jeux et ses rêves.

Avec mon travail, j'ai arrêté les études. J'ai arrêté le dessin. J'ai arrêté la famille. J'ai arrêté les voyages. J'ai arrêter l'écriture, aussi, ces pauvres mots effilochés en témoignent.

Avec mon travail, j'ai appréhendé le confinement sans m'opposer. J'ai laissé des amis en plan pour leur substituer des gens médiocres, flottant entre la vulgarité et le tabagisme, sans formation ni charisme.

Avec mon travail, je fais honte à mes parents qui m'ont tant donné, qui ont durement arrosé mon arbre à talents, faisant naître en moi les rêves les plus fous. Et à présent, ces rêves s'éteignent tranquillement, personne ne les voit crier à l'aide.

Mon travail me paie à ne plus servir à rien. Ma fonction est si facile à exercer que je peux sentir les synapses s'engluer et mourir dans un petit grésillement à chaque heure passée sur ma chaise.

Des activités où j'étais dynamisé, dynamisant, me sont maintenant une corvée infâme. Improviser sur scène, ce recours créatif qui me rendait naguère tellement en vie, m'accable d'efforts et me laisse indifférent. Je n'y suis même plus compétent, pas plus que lorsque je cherche tant bien que mal à en transmettre les rudiments, la passion. Je me dépêche de quitter les soirées entre amis, je n'ai rien à dire de toute façon, ces stupides jeux vidéo n'intéressent personne. Je marche vite car il n'y a rien à voir.

Mon système me demande d'évacuer ces activités, une greffe mal réussie. Mon système me demande de passer mes soirées dans ma chambre pour mieux disparaître.

Je suis en travers de mes promesses et elles me dépassent, la vie passe trop vite. L'amour est tellement bienvenu, en ce moment, j'ai peur de le refermer sur lui-même par mon empâtement plutôt que de le faire fleurir, parfaitement, comme il rayonne dans ma tête.

Ce billet n'était pas créatif, c'est la balade de l'employé désillusionné. Il est aussi peu créatif que les projets ineptes de mon département d'assurance qualité.

Il y avait longtemps que je voulais faire face à cette honte. Elle ricoche dans ma tête depuis l'été. J'en parlais toujours avec un malaise conséquent, mais pas moyen de la faire sortir.

Ouf.

Vite, changeons. Prochaine étape.

***

- Écrire quelque chose que j'aurai envie de partager, et le diffuser.
- Faire le tour des États-Unis.
- Visiter l'Europe.
- Jouer dans le bois avec des enfants.
- Être dans un groupe de musique, chanter et jouer d'un instrument.
- Écrire des chansons.
- Revoir la vallée du Hellgate.
- Faire un dessin qui me rendra fier, que je voudrai montrer sans honte.
- Sauter par dessus un gros obstacle avec un véhicule.
- Avoir un logis propre et savamment divisé, décoré.
- Me marier et y inviter des vieux amis.
- Être une personne de référence.
- Conter des histoire.
- Rencontrer des gens qui ont de la sagesse.

1 commentaire:

  1. Tu n'es rien de tout ça pour moi. Je le vois poindre au coin de tes sourires, ce petit François. Il est là, je le sais, je le sens.

    Il dessine des robots sur le coin d'une table sans le dire trop fort. Il porte des lunettes impossibles et joue de la guitare en bédaine dans sa chambre. Il se bat et me fait des bleus dans le lit. Il se cache sous les couvertures pendant les films d'horreur et en ressort, cynique, en mentionnant sa virilité mise à l'épreuve avec tout ce suspense cathodique. Il cuisine fièrement son bon pâté chinois. Il court dans les rues du Vieux-Québec pour entendre la chanson de la chorale. Il dévalle les rues le matin pour ne pas arriver en retard au QA car il a préféré se réveiller lentement dans mes bras. Il caresse mon dos en jouant au "petit bonhomme qui chantonne". Ses yeux brillent d'éclat quand on parle de voyage. Il dessine dans ses cahiers de note de l'université.

    Je te trouve dur avec l'homme que je vois à travers toi. Je peine à comprendre cette honte, alors que je t'admire autant. J'ai peur que ce soit de ma faute.

    Je sais que tu as cette créativité bouillonnante, ce charisme séduisant, un sens de l'humour hors du commun, une facilité d'approche qui fait de toi un ami enviable (même mon coloc t'aime tsé), une sensibilité touchante. Je sens que le petit François est tout près mais qu'il n'ose pas sortir.

    Je m'excuse de ne pouvoir le rassurer. J'aimerais réussir à t'enlever cette honte.

    Je me sais maladroite et j'en suis désolée.

    Je t'aime.

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